092 - L'Espagne, proie tentante pour Napoléon -
Englobée dans la paix résultant du traité signé le 25 mars 1802 à Amiens entre la France, l'Espagne et la République batave d'une part, le Royaume-Uni d'autre part, l'Espagne va vivre une brève accalmie ; une clause de ce traité lui fait néanmoins céder l'Île de la Trinité à l'Angleterre et, par la suite, elle apprend sans plaisir que La Louisiane, sur laquelle elle avait gardé un droit de préemption, a été vendue aux États-Unis par le Premier Consul en 1803 pour 80 millions de Francs.
La guerre entre la France & l'Angleterre reprenant, la Cour de Madrid est sommée de se déclarer derechef en guerre : Charles IV & Godoy se débattent et obtiennent de rester en dehors du conflit moyennant le paiement d'un tribut mensuel de 6 millions de Francs à la France.
Napoléon est alors tout à son immense projet d'envahir l'Angleterre ; il lui faut 24 heures, soit 2 marées, sous réserve que la flotte anglaise soit occupée par ailleurs ; le concours de la flotte d'Espagne est alors sollicité, cette dernière devant ouvrir les hostilités ; une flotte franco-espagnole cingle alors vers les Antilles dans l'espoir d'entraîner à sa poursuite la flotte de l'amiral Nelson ; la manœuvre échoue et le 21 octobre 1805, près du cap Trafalgar, l'amiral français Villeneuve et l'amiral espagnol Gravina livrent bataille à l'escadre de Nelson ; moins nombreux mais mieux commandés, les navires anglais écrasent les flottes adverses, victoire qui coûta la vie à 1 000 marins espagnols et assura la sécurité de Gibraltar et du Portugal. Des 15 vaisseaux espagnols participant à la lutte, 3 sont coulés, 3 sont captifs, 4 seulement peuvent rejoindre Cadix, et les autres, criblés de boulets et désemparés, voguent à la dérive ; l'amiral Gravina est mortellement blessé et le vice-amiral Pierre de Villeneuve, fait prisonnier, se suicide à sa libération en 1806 pour ne pas affronter la colère impériale.
Il en est ainsi fait de la grandeur de l'Espagne. Sans flotte suffisamment puissante, le lien maritime est pratiquement rompu avec son Empire d'Outre-Mer ; Napoléon doit renoncer à la conquête de l'Angleterre, mais son triomphe à Austerlitz, le 2 décembre 1805 face aux Autrichiens et aux Russes, met le reste de l'Europe à ses pieds ; il dépossède les Bourbons de Naples qui doivent se réfugier en Sicile, sous la protection des canons anglais.
Jouet dans les mains de Napoléon, Godoy est également haï par le futur héritier de la couronne, Ferdinand, prince des Asturies, fils de Charles IV et de Marie-Louise, triste sire, mais très populaire dans le clergé et parmi le peuple ; dans l'espoir de gagner les faveurs de Napoléon, Ferdinand ébauche un complot pour abattre le Prince de la Paix ; mais en octobre 1807, ce dernier obtient des souverains l'arrestation de leur fils ; l'hostilité de Ferdinand au Prince de la Paix ainsi révélée au grand jour, sa popularité s'affirme.
Occupé à organiser le blocus continental contre l'Angleterre, Napoléon est irrité de voir le Portugal ouvrir ses ports aux marchandises destinées aux Anglais ; il constitue à Bayonne une petite armée destinée à envahir le Portugal et l'aide de l'Espagne lui est nécessaire ; le traité de Fontainebleau, signé à ces fins le 27 octobre 1807 stipule que la France occupera le Centre du Portugal, l'Espagne le Nord et le Sud, une petite principauté souveraine étant taillée au profit de Godoy. Les forces impériales pénètrent en Espagne, plus nombreuses que prévu ; le 30 novembre 18807, elles occupent Lisbonne et Jean VI est contraint de s'enfuir au Brésil ; les forces espagnoles étant en retard, contrairement aux stipulations du traité de Fontainebleau, Junot assure l'administration de l'ensemble du pays. Cependant, de 1808 à 1811, avec le concours de Wellington, le Portugal se débarrassera progressivement de l'occupant français.
Vue de la France, au début de 1808, l'Espagne est alors une proie tentante ; un bas peuple occupé de processions, de courses de taureaux et d'amours brutales, une bourgeoisie mécontente, des beaux esprits nourris aux idées des Encyclopédistes et aux principes de la Déclaration des droits de l'Homme, un Clergé ignorant, une petite noblesse qui meurt de faim sur des terres à demi incultes, des Grands qui intriguent peureusement, une Cour morne et routinière, un Roi hébété, une Reine luxurieuse, un héritier au trône sournois et pusillanime, un favori détesté, tel est le contenu des rapports faits à Napoléon ; il semble facile de donner une armature française à cet État vermoulu ! Mais on ne se doute pas à Paris de la violence avec laquelle le lion, une fois réveillé, peut rugir... On s'en doute d'autant moins que les régiments français, qui sont entrés en Espagne, y ont été plutôt bien accueillis par la population.
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