085 - La Société espagnole à la fin du XVIII° siècle -
Vue de l'extérieur, la société espagnole apparaît strictement hiérarchisée et quelque peu figée ; en haut, la famille royale, la première noblesse composée des Grands d'Espagne (119 à l'avènement de Charles IV) et les gens titrés, marquis, comtes & barons, de création récente, disposant d'immenses domaines sur lesquels ils ne résident que rarement, suivant le roi qui va de Madrid à Aranjuez, d'Aranjuez à San Ildefons, puis à l'Escorial et enfin à Madrid ! L'ordonnance de la Cour, avec tout ce qu'elle entretient, absorbe le dixième du revenu public !
Après la Cour, le Clergé qui en 1787 ne comprend pas moins de 200 000 membres, dont 62 000 moines et 33 000 nonnes ; immensément riche, il possède le quart des terres cultivables, est respecté et aimé, chaque famille comprenant au moins un ecclésiastique.
Vient ensuite la Noblesse de province,pour laquelle toujours en 1787 sont dénombrés 500 000 hidalgos, soit 1 pour 20 espagnols ; plutôt pauvre, cette noblesse se soutient grâce à l'institution de majorats inaliénables permettant à l'aîné de mener une vie honorable ; ces majorats, qui retirent du commerce plus d'un tiers du sol, font obstacle à l'accession à la propriété des classes inférieures, ce qui constitue une véritable calamité économique ; cette noblesse fournit également les cadres de l'armée et les fonctionnaires de quelque importance.
Il n'y a guère, en Espagne, de haute-bourgeoisie, si ce n'est dans les Asturies, des maîtres de forge, en Catalogne, d'opulents armateurs, et dans les ports, un certain nombre de gros négociants ; mais tout le gros du commerce est aux mains des étrangers : p.ex. à Cadix on ne compte pas moins de 80 négociants ou armateurs français.
Le peuple – el común – se compose d'artisans, d'ouvriers, de manœuvres, de domestiques et de paysans.
Les Espagnols de cette époque n'aiment guère le travail régulier et poursuivi en commun ; ils préfèrent les petits métiers, avec des gains modestes mais laissant des loisirs abondants ; ces emplois sont alors laissés aux étrangers et seuls quelques Galiciens & Asturiens, gens rudes et vigoureux, acceptent d’œuvrer dans les mines. Lorsqu'il le peut, le Castillan ou l'Andalou rentre au service d'une maison noble : en 1787 on compte 280 000 gens de maison contre 310 000 ouvriers ; ce prolétariat urbain, auquel il faut ajouter la caste nombreuse et honorée des mendiants et des non moins honorées rameras (filles de joie), a ses mœurs, ses traditions, ses façons de parler et de se vêtir, ainsi que des divertissements qui lui sont propres.
Mais l'essentiel de l'Espagne demeure le paysan ; bien que constituant la majorité de la population, la paysannerie ne possède qu'une faible partie des terres ; toutefois, dans les Provinces basques, en Navarre, en Catalogne et dans la huerta de Valence, le paysan est souvent propriétaire, à tout le moins fermier, alors qu'ailleurs il n'est que journalier ; dans la province de Séville on compte près de 120 000 journaliers contre 5 000 laboureurs propriétaires ; quand les gros travaux sont terminés, le journalier est plongé de longs mois dans le dénuement !
Mis à part les très riches et les très pauvres, les Espagnols ont tous des usages analogues : même dédain du confort - la demeure est faiblement meublée et chauffée du seul brasero – même frugalité – le puchero, sorte de pot-au-feu qui constitue la base de leur alimentation – même habitude du lever matinal et de la sieste post-méridienne, chacun entendant quotidiennement la messe, un service de l'aube étant spécialement assuré aux travailleurs agricoles ; tout le monde se retrouve aux pèlerinages, aux processions, aux fêtes et aux courses de taureaux. A la bonhomie des hautes classes répond la dignité des classes inférieures. Ainsi ce pays, malgré l'importance, en nombre, de sa noblesse, reste le plus démocratique d'Europe.
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